Alexis Zimmer, texte du livre "Les îles", édition Wildproject, 2009

 

« (...) et quel est ce silence lorsque l’on
pose la question du rêve ? »
Gilles Clément, Le Salon des berces

 

S’aventurer dans les friches. S’aventurer dans les friches et reconsidérer ces lieux, d’une étonnante diversité. Ouvrir son regard au foisonnement silencieux qui lentement s’y déploie. Y deviner les babils de ce nouveau langage, infime et léger, qui nous invite à nouer de nouvelles relations avec ce que jusqu’alors nous ne réussissions à distinguer.
Pour s’accommoder et s’exercer, l’on peut commencer par des brins d’herbe. Ceux, par exemple, qui se frayent un chemin entre les joints abîmés des pavages et que l’on prendra soin de considérer comme de petits bouquets ou comme des girandoles de chlorophylle. Les forces se font sentir, insoupçonnées.
L’expérimentation se prolongera par une attention appuyée, portée aux lierres enserrant la pierre, puis à la clématite tissant, le long des murs de façades abandonnées, des gerbes aériennes et des toiles d’obédience végétale. L’exploration se poursuivra par un regard, un œil plein de curiosité porté sur ces bunkers ou ces fortins qui parsèment nos campagnes et les abords de nos villes. Certains ont littéralement implosé sous la poussée pourtant lente et imperceptible des arbres et arbustes y ayant subrepticement élu domicile. Mille petits signes continueront de nous surprendre. Ils sont autant de clins d’œil d’une vie qui ne se résout à la dureté des matériaux dont l’homme fait usage, et à l’asepsie qui parfois gagne un peu trop l’assurance des évidences non éprouvées.
De tous ces lieux, ce n’est pas la dimension qui importe. Ils se laissent explorer selon des jeux d’échelles imprévisibles que seul un flair pour l’intensité et un goût certain pour l’écart et la marge sont à même de gouverner.
On les nomme, de façon sommaire et non exhaustive : friches, terrains vagues, ruines, décombres ou bas-côtés… ou simplement encore farandoles de vitalité. Ils font tanguer les limites de ce qu’on appelle nature et urbanité et ils s’insèrent là où l’homme un instant, par mégarde ou par dépit, n’a pas exercé sa souveraineté.
Dans la nuit du 23 au 24 mai 1871, le palais d’Orsay est incendié, Zola : « L’incendie immense, le plus énorme, le plus effroyable, le cube de pierre géant, aux deux étages de portiques, vomissant des flammes ». Quelques années plus tard, 1880, Joris-Karl Huysman, dans ses Croquis parisiens : « Au lieu d’une caserne affreuse, l’on a un palais écroulé de Rome, une fantaisie babélique (…) toute une architecture de rêve (…) Puis une miniature de forêt vierge pousse sous les voûtes de ces ruines : des arbres s’élèvent de toutes parts : partout des arbustes ont descellé les dalles et des saxifrages ont brisé le marbre des terrasses (…) partout des jardins suspendus se balancent au-dessus des arbres, des jardins apportés par des bourrasques (…) des bois de platanes nains, des corbeilles de fleurs sauvages, aux germes semés d’un coup de vent ! »
Ces lieux, François Génot les traverse et s’y arrête. Les forces et la vivacité, l’inventivité des formes et des contours, la perspicacité et l’habilité avec lesquelles ils sont habités, offrent à l’étonnement matière à s’émerveiller. L’immensité de la Buddleia, ses couleurs chatoyantes et son escorte de papillons, « la Berce au parfum d’angélique, aux hampes dressées (…), grandes comme des assiettes de banquet et couvertes d’insectes », l’Onagre, cette belle de nuit, dont les fleurs jaunes, sitôt le soleil couché, se déboutonnent, distillant leur senteur… Elles sont nombreuses à avoir conquis ces lieux après de longs voyages. Du Pérou, du Caucase ou du Nord de l’Amérique, elles sont des bouts du monde ayant franchi les portes de nos villes. À Nantes, dans la petite Amazonie…

 

Il y a la vie qui suture, comme pour apaiser l’affront fait aux rêves d’éternité.

 

« Le chemin suivait l’ancien remblai d’une voie ferrée. Mais depuis bien des années, aucun train ne l’avait parcourue. À droite et à gauche, la forêt, gonflant les pentes du remblai qu’elle escaladait, l’enveloppait d’une vague verdoyante d’arbres et d’arbustes. Ce n’était qu’une simple piste, à peine assez large pour laisser passer un homme – une sorte de sentier pour animaux sauvages.
Çà et là, un morceau de fer rouillé apparaissait, indiquant que, sous les buissons, rails et traverses subsistaient. À un endroit surgissait un arbre de dix pieds : en poussant, il avait soulevé l’extrémité d’un rail, qui apparaissait très nettement. Bien entendu, la traverse avait suivi le rail, auquel elle était encore rivée par un tire-fond ; le dessous était recouvert par les pierres du ballast et par des feuilles mortes ; ainsi, le bois pourri, en voie de décomposition, pointait curieusement vers le ciel selon une ligne oblique. Si antique que fût la voie ferrée, on reconnaissait sans peine qu’elle avait été à voie unique. »

Jack London, La Peste écarlate, 1912

 

Nous avons semé des îles, comme on fait des rêves. Par petits bouts et patiemment, nous avons laissé notre maladresse se risquer à l’ébauche d’un contour, nous nous sommes laissés surprendre. Rien de certain, rien de prévisible, aucun programme, aucune méthode, une confiance infinie en ce monde et quelque chose qui nous tient.
Nous avons emprunté au jardinier quelques-uns de ses gestes, pour ainsi cultiver sans contraindre les forces qui se déployaient. Nous avons appris à respirer la terre autrement. Et lentement, nos îles ont poussé.
Certaines semblèrent simplement se déplier, déployant, comme si elles la possédaient déjà, la matière de leur expansion. D’autres, à la manière de Nias ou de la Barbade, se sont au contraire constituées par plis successifs, s’épaississant pour peu à peu émerger des eaux. Il y en eut aussi qui, déchirées, partirent à la dérive et s’affranchirent du grand continent qui jusqu’alors les gardait captives.
Des unes aux autres, la découpe et les reliefs varient alors sensiblement : une côte abrupte et escarpée pour l’une, une légère pente esquivant un méplat pour l’autre, un bassin en cuvette, des crêtes aux prises avec les cieux… À chaque fois, ce sont d’autres expériences qu’elles promettent et d’autres horizons qu’elles dessinent et offrent à ceux qui les éprouvent. S’élèvent sur elles, aux forces conjointes du feu, de la terre, de l’air et de la lumière, des entrelacs où l’histoire humaine se mêle aux puissances du végétal ; un peu de temps et quelque chose d’éternel.
Chacune vaut pour elle-même et pourtant par rapport aux autres. Elles sont l’esquisse d’un monde en archipel où ce qui les sépare compte autant que ce qui les rapproche, où ce qui semble leur appartenir est tout autant le foyer de ce qui les altère. Nous avons semé des îles et, comme à un rêve, nous nous y sommes accrochés.

 

Il fut un temps où le monde était enveloppé d’un « ciel-écorce ». D’un ciel bienveillant au-delà duquel aucun corps ne fut susceptible de se corrompre, ni de dévier de sa trajectoire jugée parfaite. Un ciel qui marquait la finitude du monde et son arrimage serein au centre du cosmos, un ciel, comme une ligne de partage, entre la perfection d’un autre monde, au-delà de la lune, et les irrégularités de celui-ci, situé juste en dessous. En ce temps là, penser voulait toujours dire un peu se rapprocher des cieux. Ce bel ordonnancement du bas et du haut, de l’imparfait et du parfait, du corrompu et de l’incorruptible, s’effrita lentement jusqu’à ouvrir la béance d’un espace infini, creusé de vide, et à faire « disparaître l’enveloppe fabuleuse du firmament ». Dans ce mouvement, la terre quitta elle aussi l’assurance de son axe, pour devenir cette « astre errant » que plus aucun ciel ne borde.
Il fallut alors se donner les moyens d’une nouvelle image du monde. Marins, explorateurs et cartographes remplacèrent dans cette tâche les philosophes et géomètres qui jusqu’alors avaient dessiné les contours d’un monde trop idéal. On construisit d’immenses caravelles et l’on “découvrit” les « Indes occidentales », on foula des terres inconnues et l’on rencontra des peuples. De nouveaux mondes firent leur apparition avec leur cortège de merveilles qui allèrent progressivement remplir les cours de la vieille Europe.
Journal de Colomb du mardi 21 octobre 1492 : « Il y a des arbres de mille sortes, tous avec leurs fruits différents et tous si parfumés que c’est merveille (…). J’apporte d’eux des échantillons, comme aussi des herbes. »
On fit le tour du monde, à la recherche des terres, anticipées par le savoir des géographes. Terres qu’il fallait à tout prix conquérir et, pour cela, en dessiner les contours, en établir la géographie. La terre, envisagée comme un immense réceptacle de richesses à même de renforcer le pouvoir des royaumes d’Europe, entrait en scène. On dessina sur le globe des routes et des voies de passage, on établit les premières colonies, les débuts d’une mondialisation.
Mais à la place des continents que l’on attendait avec ferveur, on trouva, dans une proportion bien trop importante, des îles – grandes certes, mais des îles tout de même. C’est ainsi qu’il en fut du continent austral, ce bout de terre immense, censé contrebalancer le poids de l’Asie et apporter équilibre à la terre. À sa place, une myriade d’îles et d’atolls, l’immensité de l’océan, des archipels et des volcans émergés des profondeurs, des récifs coralliens. « Un continent que les premiers voyageurs européens ont traversé sans le voir » et que Le Clézio appelle « le continent invisible » ou encore « le continent du rêve ».
Amères déceptions lorsque progressivement on se rendit compte, et sans trop y croire, que la Terre était avant tout un astre maritime et que les continents ne contenaient finalement que la plus petite surface.
Toutes ces îles que l’on aurait voulues continent ne cessèrent donc durant longtemps, par-delà la richesse dont les européens faisaient rapt, de nourrir l’amertume et la frustration des espoirs de toujours rencontrer plus de terre :

« Eh oui ! inconséquents et stupides mortels, le grand déluge de Noé n’a pas retiré ses eaux encore.»

Melville, Moby Dick, 1851

 

7. Océan mer, huile sur toile, 120, 4 x 80, 5 cm
Coll. Bartleboom

Description.
On distingue deux taches de couleur : l’une, ocre, dans la partie supérieure de la toile, et l’autre, noire, dans la partie inférieure. Le reste blanc (au verso, annotation autographe : Orage. Et dessous : tatatum tataum tatatum)1.

Alessandro Baricco, Océan Mer

 

Bassas da India (moins de 1 km2) est un atoll en formation, presque entièrement recouvert par la mer à marée haute. Le récif atteint une douzaine de kilomètres de diamètre à marée basse. Il comporte une couronne madréporique, découverte de 1,20 mètres en basse mer, ainsi que plusieurs rochers au nord émergeant de 2-3 mètres en tout temps.

Ministère de l’écologie, du développement
et de l’aménagement durables, 2004

 

1. C’est la collection d’un peintre reconnu de par le monde pour la beauté de ses portraits. À la fin de sa vie, il passait ses journées entières à tenter de faire le portait de l’océan. Il pense ne jamais y être arrivé. Pour faire le portait de quelqu’un, il avait l’habitude de partir du regard. Il pense n’avoir jamais réussi à saisir celui de l’immensité de ces eaux, et ce malgré les conseils d’un enfant qui avait deviné que ce regard n’était autre que les bateaux qui parfois se profilent à l’horizon.

 

James Cook, 18 février 1770 : « Brises légères du nord et beau temps, nous cherchons en est-sud-est la terre imaginaire de Monsieur Gore (…) nous nous trouvons alors par 45° 16’ de latitude sud… »
Une île : de l’obscurité qui l’entoure, une île se dévoile. Étrange embarcation qui semble flotter comme sus-pendue dans l’atmosphère opaque qui l’enveloppe.
Des lignes s’enchevêtrent. Entrelacs et lacis redoublent l’opacité de ses bords. La lumière se fraye un chemin au sein de ce riche foisonnement et paraît même lui insuffler le rythme d’énigmatiques ondulations.
À droite, un chevet en bourrasque. Juste à côté, une forme s’élance et, à peine courbée, chatouille les rebords de son obscurité. Un peu plus à côté encore, on croit distinguer les courbes élégantes et sensuelles d’une figure féminine : arrêtée un instant, pétrifiée, dans les mouvements d’une danse dont nul ne connaît les secrets, ses bras pointés au zénith.
Derrière, une touffe baignée de lumière. À ses sommets, des formes oblongues sont suspendues. Des fruits juchés aux cimes d’une végétation mystérieuse ? Ça et là, des contours plus abrupts et plus saillants. Au centre, légèrement décalé, on imagine un sentier, l’ébauche d’une piste.
Tout le long, mais davantage à la verticale des rivages Est, certaines formes semblent s’extraire d’une fine pellicule qui encore les retient : une sorte de génération spontanée, les sursauts d’une animalité à même la terre.
L’organicité qui s’en dégage paraît contredire l’immobilité du tout : végétale ou minérale, fantomatique et animale, il nous manque la langue pour traduire ce qui se dessine ou ce qu’encore nous hallucinons.

 

Poser ses mains. Ne pas peser sur la matière. L’effleurer, sentir entre ses doigts et sur sa paume le chatouillement des herbes : révéler quelque chose de ce contact.
Ces îles : un instantané du jeu des forces. Nécessairement fragile.

 

« Une conscience à fleur d’écorce »
Philippe Descola, Les Lances du crépuscule

 

Je n’ai appris, pour l’heure, qu’à voyager sur place. Mais j’ai lu des livres comme autant de petites îles dont je foulais le sol, pleins d’odeurs et de saveurs. J’ai appris à arpenter les montagnes les plus abruptes, j’ai fait l’expérience de ce bruit continuel et lancinant de la mer, jusqu’à l’ivresse ou la folie, j’ai vu ces ciels étoilés que la lumière de nos villes ne permet plus d’apercevoir, j’ai parcouru des îles, ma peau a brûlé, j’ai du sable entre les doigts de mes pieds, le goût du sel encore sur mes lèvres, la sensation d’une immense solitude, mais finalement, je n’ai, en un sens restreint, que très peu voyagé. J’ai lu, j’ai ouvert les yeux à la beauté des paysages, et j’ai rêvé : Vagabond des étoiles.
Une invitation à regarder, à sentir, à suivre un travail, à le partager et puis une confiance – « partageons cette expérience », voilà ce qui déclencha ce voyage inattendu. Les îles sont alors revenues comme un leitmotiv, elles poussaient à chaque coin de rue, à chaque coin de rêve, j’en ai fait des fleurs et des arbres, elles sont devenues végétales, aériennes ou souterraines, elles se sont développées, se sont emmêlées, déjouant l’atomisation par laquelle on comprend parfois l’insularité.

 

Partir d’un tout petit bout, suivre une piste à peine discernable, devenir indien, se tapir au creux d’une souche et sentir sourdre, par vagues intermittentes, la beauté du monde.

 

Ces îles, au départ, je les avais confondues avec un souffle. De petites amorces de possibles qui trouvaient là matière à s’exprimer, matière à insuffler un air encore vague et frais, susceptible de nouer la beauté d’un geste à la nécessité de sa reprise. Puis ce souffle, je n’ai cessé de le sentir, sans cependant parvenir à le traduire, sans réussir à l’habiller d’une langue à même de nous faire percevoir le tremblement qui lui est attaché. C’est une rencontre imprévue – « il doit partir » ou, en langage administratif : « Vous êtes sommé de quitter le territoire » – un choc de ceux qui accompagnent la perception de l’inadmissible et de l’intolérable, qui a forcé ce souffle – devenu cri – à trouver les voies de sa traduction et à s’inscrire dans la langue. Dans cette quête, deux insulaires, Chamoiseau et Glissant, la possibilité d’inscrire ce cri sans céder sur la langue. « Que tombent les murs. »
Les îles possèdent un envers sur lequel se réalisent quelquefois les cauchemars de ceux qui, par nécessité, ont l’humeur vagabonde. Elles ont longtemps, comme l’île du Diable ou l’île Saint Joseph, non loin des côtes guyanaises, fait office de bagne ou de léproserie. Aujourd’hui encore, elles sont un lieu de réclusion où sont tenus ceux dont la circulation est refusée. L’insularité achève ici le voyage de ceux qui ne cherchaient pourtant qu’encore à vivre, autrement.
Mayotte, Malte, Chypre, Lesbos, Tenerife, Gran Canaria, Lanzarote… L’insularité, souvent, sombre dans l’enfermement des camps.

 

«Kay tout moun»(Le tout monde)

 

Nauru : latitude 0° 32’ Sud, longitude 166° 55’ Est. En plein Océan Pacifique au sud des îles Marshall. Nauru est la plus petite république indépendante du monde. 90 % de ses terres sont à l’abandon.

 

Et il y a comme l’enfance d’un monde. L’île, origine recommencée d’une humanité, d’un peuple nomade, foi retrouvée en la possibilité de ce monde… par où l’on tient encore ce qui nous empêche de céder.

 

Réapprendre à marcher : « En vérité, nous ne savions même plus marcher. » C’est ce que nous confie ce vieil homme, né sous la plume de Jack London, et qui raconte la disparition fulgurante de notre civilisation sous l’assaut d’un microbe que nos biologistes n’ont su apaiser. Apprendre à marcher et « sans effort conscient, percevoir, dans le calme apparent qui règne, même les sons les plus légers (…), le frôlement du vent sur les feuilles, le bourdonnement d’une abeille ou d’un moustique, le grondement sourd et lointain de la mer ou, juste à nos pieds, le bruit d’un petit spermophile dégageant la terre à l’entrée de son trou ». Apprendre ou réapprendre à marcher, et se laisser soudain surprendre par l’acuité jusqu’alors négligée de nos sens. Puis les faire travailler, leur donner plus d’amplitude et réussir à débusquer des vibrations, des sons, des couleurs, des formes, des frôlements et des mouvements qui jusqu’alors étaient comme enfouis par l’insidieuse somnolence à laquelle nos affaires nous inclinent. Apprendre à marcher et percevoir les déploiements du monde, le fourmillement de nos âmes et les plis par lesquels ils s’enlacent.
Apprendre à marcher, cela peut aussi s’entendre comme apprendre à se mouvoir, à se déplacer, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, comme apprendre à rester sur place. Apprendre à rester sur place et attendre que notre présence vienne se fondre dans le milieu qui nous accueille, comme si nous y avions notre place. Devenir quasiment imperceptible et se couler dans les flux, se laisser saisir et emporter par leur puissance et, développer à partir de là, d’autres valences, d’autres préhensions, d’autres extensions âme-corps-monde. Apprendre à habiter le monde selon un mode paradoxal et singulier, augmenter l’amplitude de nos âmes, faire croître nos puissances d’affection…
François Génot me raconte : « Je m’y suis repris à deux fois, en tournant la tête, en pensant voir scintiller sous le soleil du matin une vache sur le dos, raide, les quatre fers en l’air, morte, sèche. J’étais donc au volant tentant de renforcer mon acuité visuelle quelque peu endommagée par l’assaut des rayons du soleil. Enfin je compris que la surface lessivée par le temps, blanchâtre, captant la douce lumière était celle d’une souche vautrée là au creux d’un bosquet touffu, petite zone humide entre deux champs non loin de la route. C’était donc l’appât, la clé d’entrée d’un petit monde foisonnant où, n’ayant pu s’échapper, cette forme était restée prisonnière. Un peu comme une carcasse échouée sur les rivages d’une île. »

 

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