Entretien avec Hélène Doub

 

Au sein de vos travaux, Nature s’oppose-t-elle à Culture ?

Ce que je souhaite évoquer à travers mon travail c'est une dynamique « naturelle » de la vivacité végétale. Une naturalité qui demeure par delà ou en deçà de « l'anthropisation » quasi complète du monde et de notre planète. Une leçon ou un art de la résistance. C'est pourquoi je m'évertue à représenter ou à mettre en scène des espaces ou l'émergence et la prolifération du végétal sont mises en valeur. Il est certes plus aisé de décoder ces espaces à partir d'une grille interprétative préconçue, de leur donner un sens, de les plier à nos codes, nos valeurs et nos exigences. Mais j'aimerais inverser la proposition et, plutôt que de soumettre ces espaces, apprendre d'eux, me laisser porter par les flux qui les traversent, puis faire partager cette expérience. Alors plutôt que de parler d'opposition, je dirais que la culture « s'arrange » avec la nature. Au fond ces deux catégories ne fonctionnent pas pour envisager mon travail, sauf à dire que ce dernier peut conduire à annuler cette opposition et à créer d'autres partages, moins rigides et plus près du réel.

 

Votre travail procède d’une forme de poésie de l’abandon, de jouissance de la décadence. Comment les milieux dans lesquels l’œuvre s’inscrit participent-ils de cette sensation ?

L'abandon et le délaissement – que ce soit à travers une friche urbaine, une forêt primaire, une ruine… – sont la matière première de mon travail. J'essaie bien de prendre possession de ces lieux, afin de rendre les forces qui y sont sensibles et perceptibles. Même si une certaine excitation se manifeste à la découverte de site « en marge », elle se rapproche davantage d'une joie enfantine que d'une jouissance. Et c'est alors moins la décadence qui me touche et me surprend que la force vitale qui balaie ou déforme les lieux préalablement façonnés par la main de l'homme. Un trottoir où la végétation prolifère aura autant de valeur qu'un entrelacs de forêt luxuriante. Cette forme d'abandon est aussi à l'œuvre dans le processus de création lui-même, que ça soit dans mes dessins ou peintures qui cultivent une certaine précipitation, un manque de rigueur assumé. Je recherche un équilibre entre « beau geste » et traces abandonnées, une désinvolture qui me procure cette vivacité et me met en phase avec mon sujet. Dans mes sculptures ou œuvres sur papier, il s'agit de mettre en œuvre un processus laissant la part belle à des événements chaotiques et dynamiques.

 

Lors de votre résidence à Berlin, quelles pistes avez-vous explorées ?

Mon projet de départ consistait à étudier dans Berlin l'imbrication du végétal dans la ville. Ma démarche était simple, j'arpentais systématiquement Berlin à la recherche des espaces non finis où l’on retrouvait des agencements intéressants, je constituais un carnet photographique avant de réinvestir ces expériences en peinture à l'atelier. Cela a marqué une nouvelle étape dans mon travail qui s’est imprégné de signes de constructions humaines tout en renforçant la présence du végétal. Dans le cadre de Blitz, mon installation procède de ce principe. J’ai prélevé des plaques de terre sur le chantier du Centre Pompidou-Metz pour les réintroduire au cœur de la ville. Il s’agit d’un espace de prémices végétaux qui discrètement recolonise par des éléments naturels, un contexte urbain fortement codifié et réglementé. En rendant justice à une zone contenant un potentiel de prolifération végétale, stoppée dans son élan par l’arrivée du Centre Pompidou-Metz, je souhaitais recréer ce lieu de tous les possibles et ainsi inscrire le geste artistique dans cette forme de résistance.

 

Dans quelles directions s’orientent vos travaux actuellement et quels sont vos projets?

Je réalise régulièrement des séries d’œuvres en atelier qui suivent le fil rouge de ces réflexions et utilisent des contextes de résidences ou d’expositions pour explorer de nouvelles pistes. Je réalise une nouvelle version de JUNGA, un jeu de construction aléatoire, donnant lieu à des structures chaotiques de l’ordre du sauvage ou de la catastrophe latente. Je développe actuellement un travail sur la faïence dans les ateliers des Musées de Sarreguemines, dans un contexte au passé industriel lourd qui présente de nombreuses friches. J’y réalise des petits paysages miniatures inspirés des îlots de végétation foisonnante de notre quotidien.

 

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